REORGANISER LES ESPACES AU SEIN DU CDI : VERS UNE INTERROGATION DE NOS REPRESENTATIONS

Mis à jour le lundi 11 juin 2018 , par Perrine Chambaud

PRÉFIGURATION TRAAM GUYANE

  • Article de fond -

 Vers une réorganisation de l’espace…

Vaste espace rectangulaire, le CDI du collège Victor Schoelcher a longtemps souffert d’un manque de modularité, du fait de la présence de vastes bibliothèques très lourdes et qu’il n’était pas possible de déplacer. Les demandes réitérées de changement de mobilier (et d’un coup de peinture sur les murs, étant donné que l’on a peint autour des bibliothèques et non derrière…) ayant été partiellement entendues, il devenait possible de réfléchir à une réorganisation des espaces.

Cette réflexion a été globale : au niveau du fonds documentaire, il a été décidé de tester un classement en 5 pôles en s’inspirant des travaux retracés sur le blog de l’Odyssée d’LN (1) dans le cadre des « pratiques adolescentes » tout en refaisant une signalétique.

Au niveau général, j’avais envie de délimiter des espaces ayant chacun une fonction particulière (collaboration, lecture…) au sein du vaste espace CDI. Ayant lu des articles sur des Biblioremix (2) et trouvant cette démarche inspirante, j’ai décidé d’associer de manière simple les usagers du CDI, élèves comme membres du personnel, à cette réflexion sur la réorganisation.
Pour cela, je les ai interrogés sur leur vision du « CDI idéal », via un mur à post-it, des mails, des discussions… A ma grande surprise, l’aspect purement esthétique et matériel a été jugé relativement secondaire (même si les usagers apprécieraient des ordinateurs moins obsolètes, ce en quoi on ne peut que leur donner raison, et que les élèves ont exprimé le besoin de s’approprier l’espace personnellement- le club Art graphique a ainsi réalisé une fresque sur les murs fraîchement repeints). Les demandes se sont finalement concentrées sur la création d’un espace « détente » (des poufs, la possibilité de lire allongé…) et sur le développement de l’aspect « lieu d’ouverture culturelle et de collaboration ».

 Une demande qui interroge nos représentations…

Ce genre de travail interroge nos propres représentations du lieu « CDI » et de ses usages. Cette demande des usagers vers plus de liberté, de collaborations diverses, de partage, de confort et de détente se heurte à une vision du CDI héritière de son histoire : même si elles ont très vite connu la concurrence des SD (Services de documentations), on peut faire remonter la genèse des CDI aux « Bibliothèques centrales des lycées » dont la création a été encouragée en 1947 par Odette Brunschwig, inspectrice générale de l’Instruction publique (3). Même si, bien entendu, on a connu depuis cette époque des (r)évolutions majeures en matière d’information-communication qui ont modelé bien différemment les lieux et leurs usages, cette image demeure prégnante.
Pourtant, dans ma pratique de professeur-documentaliste, je m’éloigne déjà de ce modèle : à mes yeux, une heure satisfaisante où je suis fière du travail de fond mené avec les élèves au cours des quatre années dans cet établissement est une heure où le CDI se transforme en ruche « bruissonnante ». Les élèves y travaillent leurs exposés, se partagent un travail de recherche sur ordinateurs, débattent de la mise en forme d’une affiche ou d’un panneau, collectent des informations, s’interrogent mutuellement pour préparer une future interrogation. On y encourage la collaboration, l’échange. Ils parlent, se déplacent, on est loin de la quiétude de la bibliothèque sanctuaire, et j’assume cet aspect devant le visiteur qui s’étonne du bruit ambiant : tant qu’il y a de l’émulation intellectuelle et non du bavardage, cela me convient. Les heures plus silencieuses, où chaque élève lit et travaille individuellement, me procurent paradoxalement une moindre satisfaction. Un espace de production collaborative sera d’ailleurs mis en place à la rentrée 2018 (avec tableau, matériel à disposition…)

Pourquoi donc cette réticence alors devant les demandes des élèves d’un espace de détente plus confortable, de poufs où s’allonger, si propices au plaisir de lire ? Un peu d’introspection me mène à cette question du fameux regard extérieur : si le monde des bibliothèques s’est emparé de cette question depuis plusieurs années et si des expérimentations sont menées (4) , comment réagiront les collègues de discipline, le chef d’établissement, face à un élève avachi sur des tapis ou allongé sur des poufs ? Ce type de projet n’imposera-t-il pas une justification permanente, à renouveler éventuellement à chaque changement de l’équipe de direction ?

Ces réticences seront en partie surmontées grâce aux TraAM. Dans plusieurs académies, dans de nombreux établissements travaillant sur ce thème, les mêmes besoins (ou envies) émergent. Il ne s’agit donc pas d’un épiphénomène, mais d’un mouvement plus global, qui signe peut-être une évolution rendue nécessaire. L’attention portée par le ministère de l’éducation nationale à la question du climat scolaire et du bien-être en établissement ces dernière années (5) impose sans doute de ré-interroger les lieux et leurs usages par ce prisme et de réfléchir à la possibilité de créer des espaces où les élèves puissent se ressourcer, souffler, se détendre, tant intellectuellement que corporellement (l’un n’étant pas lié impérativement ni n’excluant l’autre). L’apport des neurosciences et certaines expérimentations invitent d’ailleurs à réfléchir sur cette notion de détente corporelle et de ses apports au niveau de l’apprentissage (6).

D’ailleurs, un travail a été mené en Octobre avec les collègues CPE lors de la première réunion de bassin du bassin de Kourou de l’académie de Guyane, et il en est ressorti qu’ils étaient en attente d’un CDI qui offre un espace où les élèves pourraient se ressourcer, faire baisser la pression, éventuellement en utilisant des outils de développement personnel adaptés aux collégiens (écouter un CD propice à la méditation, colorier des mandalas, faire des origamis…).

 Vers des réalisations…

La démarche des pairs dans le cadre des TraAm et le soutien des CPE a donc renforcé cette volonté d’offrir un espace d’isolement et de détente corporelle et intellectuelle, où le calme et le silence seront nécessaires pour offrir une bulle zen. Le Club couture a été mis à contribution pour réaliser un tipi dans lequel seront placés des coussins, de quoi écrire, et une « boîte à maux » : isolés dans cet espace, les élèves pourront notamment écrire un courrier expliquant leurs difficultés, courrier qui sera ensuite transmis en fonction des problématiques au CPE, aux infirmières, à l’assistante sociale ou à la COP, afin de bénéficier d’une prise en charge à compter de la rentrée 2018. De gros coussins, un tapis seront mis également dans cet espace zen, et les élèves auront la possibilité de s’y installer pour lire.

Ce soutien de l’équipe médico-sociale et des CPE concernant la « boîte à maux » dans le tipi légitime la mise en place d’un espace particulier. Par ailleurs, à la pré-rentrée 2018, la démarche de mise en place d’un espace « cocon, détente », comme lieu de lecture sera explicité auprès de l’ensemble de l’équipe éducative, afin de ne pas heurter certaines sensibilités et limiter les remarques éventuelles.

Élèves comme collègues ont exprimé par ailleurs la demande de voir le CDI évoluer davantage encore comme un lieu de partage et d’échange culturel : concerts de musique le midi et possibilité d’écouter de la musique (dans un catalogue choisi en partenariat avec les professeurs de musique), diffusion de films pour une illustration concrète de certains points du programme…Le contexte propre à l’établissement et à la Guyane (nombre très limité de lieux à visée culturelle, difficultés de déplacement, difficultés pour les élèves à se représenter les réalités métropolitaines en terme de culture, d’architecture, de société…) me font accéder à ces demandes, malgré le coût que cela représente en matière d’investissement (les films avec droits de diffusion sont chers), et le fait que des heures seront consacrées à cela aux dépens d’heures qui pourraient être consacrées à la recherche documentaire.

L’accès à des jeux de société, la mise en place d’une ludothèque, ont aussi été sollicités. Le contexte de l’établissement le justifierait (absence de foyer…) et les bénéfices liés à certains jeux sont indéniables. Pourtant, ma limite en tant que professeur-documentaliste est là atteinte, et je ne peux, en tout cas pour l’instant, faire suite à cette demande, tout en m’interrogeant sur cette limite, franchie avec pertinence par certains collègues (7) . Je n’ai certes pas envie de consacrer encore des heures à cela en fixant un cadre (du type « club jeux de société »), et j’ai sans doute peur que la possibilité pour les élèves d’accéder à des jeux de société ne les détourne de la lecture…Mais cette réflexion est en suspens. Qui sait si la situation n’évoluera pas ?

 En bref,

ces expérimentations interrogent profondément sur le rôle du professeur-documentaliste, du CDI, et plus globalement, sur les évolutions sociétales actuelles. Il s’agit de réfléchir à ses propres représentations, de leur bien-fondé- ou non, de faire soi-même preuve d’introspection et de remise en question. Nul doute que ces démarches diviseront au sein même de la profession, et que certains y verront une dégradation de nos missions, de notre rôle. D’autres y verront au contraire un retour à certains fondamentaux (développement de compétences psycho-sociales chez les élèves…), nécessaire et préalable à l’acquisition d’une culture et de connaissances, et donc entrant pleinement dans notre rôle d’enseignant. Le débat est ouvert !

 Mots-clés :

CDI idéal, aménagement, signalétique, climat scolaire, bien être, détente, créativité, modularité, travail en groupe, collaboration, ouverture culturelle, ludothèque

Aurélie Prillieux
Collège Schoelcher Kourou
Juin 2018

(1) Voir le billet de blog « Comment prendre en compte les pratiques adolescentes (aussi) dans l’espace CDI ?, publiée le 31 Mars 2017, disponible sur http://odysseedln.overblog.com/pratiques-adolescentes-espace-cdi.html
(2) Pour une introduction à cette thématique, vous pouvez découvrir le site Biblio Remix qui propose des retours sur plusieurs expérimentations, disponible sur https://biblioremix.wordpress.com/le-projet/la-recette-rapide/
(3) Voir à ce sujet le résumé de la monographie de Françoise CHAPRON, Les CDI des lycées et collèges. Paris : Presses Universitaires de France, de 2003 , disponible sur le site Tic Tac doc à l’adresse suivante http://aristide.12.free.fr/IMG/doc/Les_CDI_des_lycees_et_colleges_Chapron.doc
(4) Allant jusqu’à l’ouverture de salle de sieste ! Evoqué dans le fil du BBF (Bulletin des bibliothèques françaises, disponible à l’adresse http://bbf.enssib.fr/le-fil-du-bbf/ouverture-d-une-salle-de-sieste-en-bibliotheque-01-02-2017
(5) Voir, par exemple, la publication de la revue Education et formations en Décembre 2015 sur la thématique « Climat scolaire et Bien-être à l’école », disponible sur http://www.education.gouv.fr/cid96049/climat-scolaire-et-bien-etre-a-l-ecole.html
(6) Voir l’article de Annie Sébire et Corinne Pierotti, « Des pratiques corporelles de bien être au service d’un climat scolaire serein », disponible sur le site du réseau Canopé, à l’adresse suivante https://www.reseau-canope.fr/climatscolaire/uploads/tx_cndpclimatsco/AnneSebire_Corinne_Pierotti_Pratique_corporelles_bien_etre.pdf
(7) Voir par exemple l’expérimentation de Marie-Cécile Isenmann au collège Elsa Triolet de de Beaucaire, dans un entretien mené en juin 2017 par Nicolas Bureau, disponible sur https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/cdi-outil-pedagogique/apprentissage-et-construction-des-savoirs/education-et-pedagogie-reflexion/organiser-et-animer-des-espaces-pedago-ludiques-du-cdi/des-jeux-au-cdi-quelle-place-pour-quels-usages.html

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